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Chronique rédigée pour le magazine MEGALO (Avril 2017) "Arrête avec tes mensonges" de Philippe Besson. Par Bertrand Mattei Avec cette élégance qui le caractérise, Philippe Besson fait preuve d’une merveilleuse générosité en nous offrant le récit d’une rencontre qui a bouleversé sa vie. « J’aurais pu expliquer qu’il ne s’agissait que d’affection, que je me contentais d’avoir le "béguin", une formulation suffisamment floue pour englober n’importe quoi. Mais ce serait me payer de mots. La vérité, la vérité toute nue, c’est que j’étais amoureux. Autant employer les mots précis ». Dans la cours du lycée, Philippe Besson est un adolescent solitaire. Ses résultats scolaires prodigieux, son homosexualité fardée : tout l’isole. « J’entends les fameuses insultes, au moins les insinuations fielleuses. Je vois les gestes efféminés qu’on surjoue en ma présence, les poignets cassés, les yeux qui roulent, les fellations qu’on mime ». Philippe est secrètement amoureux d’un autre élève de terminale : Thomas Andrieu. Mais Thomas ne semble pas s’intéresser aux garçons. Cette histoire serait donc condamnée à ne jamais exister. « Je suis dans ce désir à sens unique. Dans cet élan voué à demeurer inabouti. Dans cet amour non partagé ». Sauf qu’un jour, Thomas s’approche de lui et lui propose un rendez-vous… Une histoire commence. L’amour se fait. L’histoire avance. L’amour devient. Cette histoire aurait pu s’épanouir mais elle se heurte à l’adversité. La relation de Philippe et de Thomas fait d’eux des homosexuels, et cette maudite étiquette, Thomas n’en veut pas, il ne l’envisage pas. Elle représente un destin trop difficile à assumer, surtout lorsqu’on a dix-sept ans et qu’on est sensé n’être pas sérieux. Entre désir et déni, le déterminisme se fraye un chemin. L’histoire prend fin mais l’amour demeure. Jusqu’à ce qu’il rattrape l’auteur, trente ans plus tard. Dans les cieux des amours universelles, la question de l’homosexualité ne se pose pas. L’amour ne souffre d’aucune modalité, il est ou il n’est pas. Comme nous tous, Thomas a une histoire et celle ci s’inscrit dans une époque, une famille et une classe sociale. « Toutes les familles heureuses le sont de la même manière, les familles malheureuses le sont chacune à leur façon » (Tolstoï). Il serait fort aise de cataloguer Thomas, de le stigmatiser comme nous savons si bien le faire avec nos jugements absurdes et nos regards qui enclavent. Mais de quel droit ? Qui sommes-nous pour juger notre prochain ? Claire Démar le disait si bien : « Pour moi, je n’ai jamais su, je ne saurai jamais comprendre ces classifications, ces distinctions subtiles et métaphysiques, au moyen desquelles on veut diviser l’humanité en série d’ordre de classes, de genres. Je me défie, et pour bonnes causes, des catégories ». Pour dérober à ces catégories, Thomas renoncera à sa liberté. Mais on ne saurait échapper à son destin et celui-ci ne manquera pas de le retrouver. L’amour élucide et le don de soi permet de l’atteindre. En s’offrant de cette manière, Philippe Besson rend à l’amour sa splendeur et il restitue à son histoire l’intemporalité. Il redonne vie à Thomas et remet à l’éternité ce qu’ils n’auront pu vivre ici-bas. Philippe Besson nous raconte une histoire universelle : l’amour. C’est l’amour raconté de la plus belle des façons. Ce livre est un cadeau. Quel plus bel hommage aurait-il pu lui rendre ? Voir l'article dans MEGALO Acheter (site de l'éditeur)
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Présentation des trois nouveaux morceaux de Kamille Louis (Canal Auditif), réunis dans l'EP intitulé "Past EP". "Tout est réglé", par Bertrand Mattei L’incipit est mécanique. C’est du temps sur portée sans mesure à la clef. Méthodiquement, l’inflexion du rythme s’impose et il ne reste plus qu’à renoncer. Renoncer pour ressentir : l’expérience des sensations qui ne s’excusent pas. Tout est réglé. Kamille Louis nous embarque dans un monde dont les seules limites sont celles de l’imagination. Crescendo, on s’abandonne à son univers jusqu’à en oublier les promesses de l’habitude. Des personnages invisibles prennent vie, ils nous racontent des histoires faites de temps obsédants qui ne laissent d’autre choix que de s’y soumettre. Past EP rend la fréquence infréquentable. Il nous entraine dans l’ébahissement des mots qui manquent et du beat qui conte. Maestria sidérante. C’est la clef sur portée du temps qu’on ne mesure. Tout est réglé. Past EP 1. Still Waiting (Original Mix) 2. Acid Line (Original Mix) 3. dRain (Original Mix) 4. Still Waiting (Chris Ojeda Remix) 5. dRain (Two Of You Remix) 6. Acid Line (Dub Version) Ecouter sur SoundCloud Chronique rédigée pour le magazine MEGALO (Décembre 2016) "Oser penser le couple", par Bertrand Mattei Françoise Sagan disait que « Les lois sont faites pour s’adapter aux hommes et non le contraire ». Pourtant, c’est précisément le contraire que fit l’État le 20 Septembre 1792. Il instaura le mariage civil en s’accaparant les sentiments amoureux et la sexualité. Le couple devint la norme. Un couple dont la légitimité passe encore aujourd’hui par le mariage et qui, entre autres, prévoit pour les époux des obligations de respect, de fidélité, de direction morale et matérielle de la famille, d’éducation des enfants et de vie commune. En ce 20 Septembre 1792 l’état nous somma, à tous, de vivre à l’identique. Le sacro-saint couple fut imposé comme le garant de la sociabilité. Marcela Iacub en rappelle le bilan : 21% des français ont des tendances dépressives, un sur quatre n’a aucun ami, cinq millions sont en situation d’isolement, 21% se sentent seuls, plus d’un ménage sur trois est composé d’une seule personne, 16 millions de personnes en couple éprouvent l’envie d’y mettre un terme, le nombre de mariage diminue et celui des divorces augmente, 160 000 enfants assistent tous les ans au divorce de leurs parents, 40% d’entre eux ne voient plus leur père et ce sont chaque année 220 000 personnes qui tentent de se suicider. Pourtant, force est de constater la stérilité de nos esprits lorsqu’il nous faut concevoir des alternatives au couple. Lui qu’on nous vend depuis des siècles comme la quintessence de l’humanité, lui qui est ancré dans nos esprits tel Excalibur dans le rocher. Dans un essai paru chez Stock au mois d’Octobre 2016 et intitulé La Fin Du Couple, Marcela Iacub sonne l’alarme : « si nous ne faisons rien, il y aura de plus en plus de gens seuls, la solitude va s’accroître ». Regardons la réalité en face : ceux qui ne sont pas en couple attendent l’amour, ceux qui échouent dans une relation concluent qu’il ne s’agissait pas de la bonne personne et on voit s’éveiller autour de ceux qui collectionnent les déboires amoureux des soupçons de problèmes psychologiques. Le couple serait dangereux pour l’égalité et pour le bonheur. Il serait partiellement responsable des inégalités entre femmes et hommes, entre homosexuels et hétérosexuels, et des sentiments de frustration et de culpabilité. De plus, il gangrènerait la sexualité que nous soumettons à un projet conjugal, alors que cette incroyable énergie à la puissance merveilleuse pourrait être utilisée pour bâtir la sociabilité et profiter à un plus grand nombre. Au lieu de forger l’isolement. En se basant sur l’hypothèse de Fourier, Marcela Iacub propose une alternative révolutionnaire : la philanthropie sexuelle. Selon celle-ci, le sexe ne saurait se limiter au seul désir. Il pourrait être utilisé de façon altruiste, en donnant du plaisir sans forcément assouvir ses propres désirs garantissant le droit à un minimum sexuel (un devoir pour les plus beaux et les plus jeunes de donner du plaisir à ceux qui en ont besoin). Ainsi, nul ne ferait l’expérience de la frustration. Si nous pouvons être généreux avec l’argent et la nourriture, pourquoi ne le serions-nous pas avec la sexualité ? Quid des relations ? Marcela Iacub considère tout à fait raisonnable d’avoir une dizaine de partenaires. Ainsi, nous serions moins tristes lorsque la relation avec l’un d’entre eux toucherait à sa fin et nous serions en permanence dans l’attente exaltante de prochains rendez-vous. En ajoutant à cela la philanthropie sexuelle – pour l’estime de soi – nous obtiendrions un équilibre viable. Les sentiments ne seraient pas la meilleure façon d’explorer la sexualité. Lorsqu’un rapport sexuel est motivé par l’amour, on pense finalement plus à l’acte d’amour qu’au sexe lui-même, ce qui détourne du réel. Quant à l’amour, à chacun de le placer là où il le souhaite. Ne confondons pas la fin du couple avec la fin de l’amour. Comme le dit Michel Onfray : « Ne pas vouloir s'engager pour la vie dans une histoire de longue durée n'interdit pas la promesse d'une douceur amoureuse ». Notre challenge serait de dépêtrer la sexualité du couple afin de pouvoir jouir de cette chance inouïe qui nous est donnée de nous associer aux autres. Ne serait-ce pas faire acte de faiblesse que de coller à Marcela Iacub une étiquette de provocatrice ? Son propos est certes avant-gardiste mais il invite avant tout à la réflexion. Penser le couple serait devenu un véritable challenge intellectuel. Oserez-vous ? Voir l'article dans MEGALO Acheter (site de l'éditeur) La fin du couple Marcela Iacub Editions Stock Octobre 2016 157 pages 17 euros |
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